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Dossier spécial : loi sur les personnes handicapées

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Dossier spécial : loi sur les personnes handicapées



Précarité, aumônes et exclusion à perpète.

La nouvelle « loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » a été votée en dernière lecture à l’Assemblée nationale début février. Elle entérine les discriminations à l’égard des personnes handicapées.

L’intitulé de la loi votée au début du mois (« Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ») pouvait laisser penser qu’enfin la question du handicap allait sortir du champ du social et de l’assistance. Qu’allait s’engager une politique visant à éliminer les difficultés pratiques que rencontrent les personnes handicapées dans l’accès à la vie sociale. Il n’en est rien. La nouvelle loi s’attaque t-elle à la ségrégation sociale et aux discriminations que subissent les personnes handicapées dans l’accès à l’école, au travail, aux transports, au logement social ? Il aurait fallu pour cela s’opposer aux intérêts des patrons, des promoteurs immobiliers, des transporteurs publics, de l’État et de certaines associations gestionnaires des institutions de travail protégé.

Alors, pourquoi une nouvelle loi ? À y regarder de plus près, sous certains aspects, c’est une loi de régression sociale. Le but est de réduire les dépenses sociales consacrées au handicap, d’obliger les personnes handicapées, dont les allocations seront réduites, à accepter les emplois les plus précaires ou le travail ghettoïsé dans les centres d’aide par le travail (CAT), d’assouplir les contraintes qu’imposait la loi aux patrons et à l’État, notamment en matière d’emploi.

Comment pourrait-il en être autrement quand le libéralisme réduit les budgets sociaux, privatise les services publics, flexibilise, « fluidifie » la main-d’œuvre au prétexte que la « mondialisation » impose d’être toujours plus concurrentiel ? La loi du profit est sans pitié pour ceux qui ne peuvent pas suivre. Et c’est le cas de nombre de personnes handicapées. La productivité au travail, le type de handicap conditionnent leur place dans la production, leur statut social, leur degré d’intégration sociale. Les plus « efficientes » (comprendre celles qui, sur certains postes, peuvent avoir une productivité normale) peuvent postuler au milieu du travail ordinaire ou s’y maintenir. Celles dont la productivité ne dépasse pas 30 % de la norme sont versées dans le secteur du travail protégé ghettoïsé. Celles jugées inaptes bénéficient de l’assistance publique sous forme d’allocations, de placements dans des institutions spécialisées (foyers de vie etc.). Quelques chiffres de l’ANPE donnent un aperçu de leur situation. Elles travaillent plus souvent à temps partiel, sont plus souvent et plus longtemps au chômage et sont moins qualifiées que les autres travailleurs. Sur cinq millions de personnes handicapées, 880 000 sont en âge de travailler. Six cent vingt mille ont un emploi salarié dans le public ou le privé. Le quart occupent des emplois à temps partiel (contre 16 % pour les autres travailleurs). Le taux de chômage des travailleurs handicapés atteint 24 %. 27 % sont âgées de 50 ans et plus (contre 15 % pour l’ensemble des chômeurs). 41 % des chômeurs handicapés sont au chômage depuis au moins un an (contre 30 %). 19 % sont au chômage depuis au moins deux ans (contre 12 %). 45 % ont un niveau de qualification de manœuvre, d’ouvrier spécialisé ou d’employé non qualifié (contre 23 % pour les autres).

Un avenir sombre Dans le secteur protégé des CAT et ateliers protégés gérés par les associations (APF, Unapei etc.), on dénombre 120 000 travailleurs. Trois mille places supplémentaires ont été programmées dans les CAT. Si certaines associations s’efforcent de faire accéder à une réelle insertion avec les moyens qu’elles ont - limités -, d’autres, sous prétexte d’établissements médico-sociaux, acceptent un système dans lequel une bonne partie du code du travail et le droit syndical ne s’appliquent pas. Les salaires qui y sont versés sont ceux d’ouvriers du tiers monde. En réalité, ce sont des entreprises qui font de la sous-traitance. Nous notions dans une déclaration d’octobre 2004 : « Quant au travail protégé, il est engagé encore plus vers l’exploitation. »

À tout ceci, on pourrait ajouter que 1% seulement des handicapés scolarisés atteignent le bac. Qu’emprunter les transports ou se loger tient de la gageure.

Face à cette situation intolérable, Chirac nous a refait le coup de la « fracture sociale ». Un des « chantiers prioritaires du quinquennat » s’avérant bien compliqué : il aura fallu dix-huit mois et deux secrétaires d’État plus quelques charcutages pour que la loi voie le jour. Lors de son passage au Sénat, à l’automne, le cynisme des sénateurs, refusant le délai de dix ans dans la partie de l’avant-projet consacrée à l’accessibilité, avait provoqué un tollé. Chirac et Marie-Anne Montchamp (la nouvelle secrétaire d’État aux personnes handicapées, nommée après la débâcle de la droite aux élections régionales de 2004) avaient dû multiplier les propos lénifiants et les effets d’annonce. Mais derrière le cirque médiatique se profile en réalité un avenir sombre pour les personnes handicapées.

Deux annonces ont fait l’objet d’une publicité racoleuse dans les médias : 140 euros d’augmentation du montant des allocations et l’accessibilité dans un délai de dix ans des transports et des bâtiments publics et privés.

Les 140 euros ? Il s’agit du montant de l’allocation d’autonomie, qui s’ajoutera aux 599,49 € à taux plein de l’allocation adulte handicapé (AAH), le minimum social versé aux personnes handicapées « dans l’impossibilité de travailler ». Dans un premier temps, ce complément avait été supprimé puis réintroduit dans la loi par Montchamp. Il se monte aujourd’hui à 95,92 euros. Si on compte bien, l’augmentation réelle sera de 45,08 euros. Elle ne concernera qu’un nombre très réduit de bénéficiaires, qui devront pour survivre se contenter au mieux de 80 % du Smic.

Concernant l’accessibilité, de multiples dérogations ne manqueront pas d’être accordées sous prétexte de contraintes techniques, de préservation du patrimoine ou de coût. La France, déjà en retard, devra attendre encore dix ans avant de permettre aux handicapés de prendre le bus.

Quant aux autres mesures, si certaines ne changent pas grand-chose, les autres sont plutôt inquiétantes. Maintenant, l’enfant handicapé pourra être inscrit dans l’école proche de son domicile (l’établissement référent, c’était déjà prévu par la loi de 1975, mais elle n’était pas appliquée), mais rien n’indique qu’il échappera au circuit parallèle des institutions spécialisées en lien avec l’établissement référent. Une commission de la Sécurité sociale pourra décider d’une orientation en institution spécialisée et, en cas de désaccord de la famille, la décision finale échappera aux parents (article 8 de la loi) ! C’est le « parcours du combattant » qui continue pour scolariser les enfants handicapés !

Code du travail

Si le quota de 6% de travailleurs handicapés dans le privé et le public est maintenu, et si les amendes sont plus lourdes pour les employeurs qui ne respectent pas les quotas, nombre de dispositions leur permettront de contourner l’obligation d’emploi, ou de créer des « entreprises adaptées » ou des « centres de distribution de travail à domicile » avec subventions à la clé, ou encore de toucher des aides au poste (jusqu’à présent elles se montaient à 1200 euros par poste (avec des rallonges comprises entre 330 et 500 euros) quand elles embauchent des travailleurs handicapés. D’autres dispositions inquiétantes touchent au code du travail et au statut des fonctionnaires : les acquis législatifs précédents en matière d’insertion et de recrutement dans la fonction publique risquent de disparaître dans un retour au droit commun moins contraignant (en particulier la généralisation du recrutement par contrat fragilise et individualise la condition du travailleur handicapé, dès lors soumis à de plus grandes inégalités de traitement).

En matière de protection sociale, un rappel est utile pour comprendre ce qui guide la politique de la droite. Le nombre de bénéficiaires de l’AAH a explosé ces dernières années (2,8 % d’augmentation chaque année depuis quinze ans selon le ministère des Affaires sociales, chiffres de 2003) pour atteindre près de 800000 personnes. De même, 60% des dépenses de la Sécu sont consacrées aux affections longue durée (ALD). La logique libérale s’accommodant mal de dispositifs de protection sociale jugés trop coûteux, la droite cherche à mieux les contrôler, à les réduire. Déjà par la réforme de la Sécu par Douste-Blazy réduit de 450 millions d’euros les soins couverts par l’ALD. On peut parier que la droite réduira les budgets consacrés aux allocations (AAH, etc.) en jouant sur les critères d’ouverture des droits. Les sans-papiers sont les premiers touchés. Ils n’auront pas droit à l’AAH s’ils se retrouvent handicapés.

Marie-Anne Montchamp nous dit créer un nouveau droit, le droit à compensation, qui comprendra les aides financières, techniques, humaines. C’est un artifice de présentation : ces aides existaient déjà. Elles étaient financées par la Sécurité sociale, l’aide sociale ou la Caisse d’allocations familiales.

Ce qui est nouveau, c’est la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), qui assurera désormais le financement de ces aides en allouant des fonds aux maisons départementales du handicap (MDH). Son budget sera contrôlé par le Parlement, comme celui de la Sécu l’est déjà. Les priorités budgétaires se feront sur « la base des schémas nationaux, régionaux et départementaux d’organisation sociale et médico-sociale ». Cette politique a conduit dans la santé à des restrictions drastiques de l’offre de soins et à des inégalités de traitement selon les régions et les départements.

Du social à la charité

La CNSA échappe à la protection sociale ordinaire (en voie de casse) pour devenir une caisse qui ne relève plus du droit commun mais s’apparente à la charité publique. À charge pour les salariés d’y apporter leur obole obligatoire en travaillant le lundi de Pentecôte.

Complétant le nouveau dispositif institutionnel sous prétexte de simplification administrative, les MDH (soumises au contrôle de la CNSA) se substitueront aux structures nationales dépendant des affaires sociales (employant 1 200 fonctionnaires) et décideront en pratique de l’avenir des handicapés (école, emploi, allocations). Le contrôle social sera de mise, la tutelle pesante. Chaque parent d’enfant handicapé, ou le handicapé lui-même, devra proposer un « projet de vie » en se présentant devant la commission compétente de la MDH. Les nouvelles règles administratives obligeront les MDH à jouer un rôle de tri entre les handicapés les plus « efficients », jugés aptes à entamer une scolarité, à travailler (entreprises, « entreprises adaptées », « centres de distribution de travail à domicile », etc.) et ceux qui auront « droit » aux institutions spécialisées, aux centres d’aide par le travail (CAT) ou de rester chez eux avec, comme viatique, un « revenu d’existence » misérable.

En filigrane, apparaît le choix de la droite d’intégrer les handicapés « efficients » à la vie sociale et d’abandonner les plus nombreux et les plus démunis (souvent issus des milieux populaires) à l’exclusion, à la précarité. Pour elle, il s’agit simplement d’un problème de coûts. La question des moyens financiers restera dominante dans l’application de la loi et le transfert des charges aux finances locales. Le budget 2005, fortement marqué par la régression des dépenses publiques et sociales, donne une idée de la restriction de la marge de progrès.

Trente ans après la loi d’orientation de 1975, censée intégrer les handicapés dans la vie sociale, la nouvelle loi entérine les discriminations qui existaient dans l’accès à l’école, au travail, aux transports, aux services publics, aux logements. Elles ont désormais un cadre légal.

L’insertion des handicapés dans la vie sociale suppose des droits qui ne soient pas annulés par des dispositions autorisant leur contournement ou leur négation. Le droit au travail pour tous, le droit à l’éducation, le droit au logement, le droit de se déplacer, le droit pour tous à un revenu minimum décent au moins égal au Smic, le droit à la santé gratuite doivent être garantis. Une politique de solidarité s’impose, qui inscrive ces droits dans la réalité. Ce qui nécessite de rompre avec la logique libérale des coûts, de la rentabilité, du profit.



  • Article mis en ligne le 24 février 2005 par Laurent


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