"Si tu ne partages pas la lutte,
 tu partageras la défaite" (Bertolt Brecht)
Le site de la Section Syndicale CGT de l'Adapei Papillons Blancs d'Alsace
Quoi de neuf chez nous?

Plan du site Archives du site Abonnement RSS
Outils CGT Playliste Mentions légales
Défouloir Massacre SPIP
Espace privé
3732356 visites depuis le 01/11/2004
Dernier article publié le mercredi 30 novembre 2022
Dernière brève publiée le mercredi 1er janvier 2020
Contacter votre
Contacter le
Site mieux vu avec FIREFOX
Relever la tête

Hacked By Awad Sahar

article précédent    article suivant

Relever la tête



Le premier long-métrage de Fabienne Godet est sorti en salles ce 15 février. "Sauf le respect que je vous dois" traite sans détours de la souffrance au travail et souligne la difficulté à s’organiser dans certaines entreprises. Après avoir fait des études de psycho-sociologie à Angers, Fabienne Godet a travaillé à Paris dans un organisme de formation à la psychologie du personnel médical et paramédical, tout en cultivant sa passion pour le cinéma. Licenciée après avoir soutenu d’autres salariés sur le point de l’être, Fabienne Godet s’inspire de cette expérience pour réaliser son film. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations ayant réellement existé serait délibérément voulue ! Interview :

Votre film raconte le drame qu’occasionne un licenciement injustifié dans une PME. S’il s’agit d’une fiction, vous y avez mêlé des éléments tirés de votre propre expérience en entreprise. Que vous est-il arrivé ?

Fabienne Godet - J’ai vécu quelque chose de tristement banal. Quelle que soit la taille de l’entreprise, quel que soit le secteur d’activité économique, la violence psychologique et la déstabilisation des salariés sont fréquemment utilisées.

Je travaillais dans une entreprise qui formait le personnel médical et paramédical. Il y avait environ quarante salariés. En 1999, nous avons eu un nouveau directeur. Deux mois plus tard, deux personnes étaient licenciées pour faute lourde. On reprochait à l’un d’entre eux son "insubordination endémique"… C’était en fait le début d’une longue série de licenciements. Une secrétaire rentrant de son congé de maternité a ainsi été immédiatement mise à pied. À chaque fois, le motif du renvoi était inventé de toutes pièces.

Un jour, le directeur a même annoncé qu’une personne allait être remplacée - sans dire qu’elle allait être licenciée - devant tout le monde, lors d’un séminaire. Même si je n’étais pas directement visée, c’était trop pour moi, et j’ai gueulé. Peu après, à la pause déjeuner, alors que j’étais à table avec d’autres personnes, le directeur s’est approché de moi et m’a mis une main sur l’épaule : "Fabienne, certains de vos collègues se sont plaints de votre comportement". Je lui ai demandé : "Qui ? " Et il m’a répondu : "Certains". Ce type de pression a duré jusqu’à mon licenciement. Le film montre la pression, la souffrance dans le travail, et le silence qui entoure ce type de licenciement.

Vous dépeignez un monde de l’entreprise extrêmement froid, sans solidarité entre les salariés, où les syndicats sont absents et où les rapports de force collectifs n’existent pas…

F. Godet - Avant mon licenciement, j’avais déjà beaucoup travaillé sur l’aliénation, l’aliénation sociale. Mais je me faisais encore des illusions sur la solidarité entre collègues.

La première personne qui a été licenciée dans ma boîte était accusée par la direction d’être une grande gueule. Alors que j’essayais de la défendre, les autres salariés lui trouvaient toute sorte de reproches. La deuxième personne licenciée [coscénariste de Sauf le respect que je vous dois, NDLR] était, à l’inverse, accusée de ne pas être assez sociable. Chaque collègue trouvait de bonnes raisons à ce licenciement : en fin de compte, les salariés étaient leur propre bourreau. Quand les licenciements sont arrivés jusqu’à eux, plus personne ne les a défendus. De plus, dans le métier que j’exerçais, j’étais souvent appelée à me déplacer en province pour quelques jours. Organiser les gens dans ces conditions était d’autant plus difficile. Dans le film, j’ai voulu témoigner de ma propre expérience : je n’ai pas connu l’action collective. Un délégué du personnel de mon entreprise a même été jusqu’à rapporter à la direction qu’une pétition était en cours de rédaction. Les rapports étaient uniquement individuels.

Dans Sauf le respect que je vous dois, la violence est omniprésente, particulièrement dans la scène du suicide. Qu’avez-vous voulu montrer ?

F. Godet - Le suicide sur le lieu de travail a une signification bien particulière. Je voulais qu’il prenne place sur le lieu de travail avec les outils du travail. Je ne voulais pas que l’on voie la scène du suicide comme l’on consomme la violence dans les autres films. Dans beaucoup d’autres films, on déduit que la personne s’est suicidée. La société passe sous silence le suicide. Parfois même, on dit que la personne a eu un accident, pour cacher qu’elle a mis fin à ses jours. Je voulais prendre le contre-pied de cela. C’est violent de se suicider : le suicide en lui-même bien sûr, mais aussi la non-réaction des gens. Quant à la violence de François [le personnage principal, NDLR], elle a été engendrée par une violence invisible. Il ne s’exprime pas et il a peur du regard de l’autre. Mais, à force d’accumuler, il devient une véritable bombe à retardement. Il faut prendre la parole avant d’en arriver là.

Par la pression psychologique, on isole les individus et on les rend responsables de la situation. La violence qui est exercée sur eux est la plupart du temps invisible. Mais, parfois, elle est flagrante : je me souviens d’une collègue qui, en un week-end, a reçu 80 fax du travail chez elle.

Vous avez présenté ce film dans une dizaine de villes en France et, à chaque fois, les projections étaient suivies de débats. Quelles ont été les réactions ?

F. Godet - Les personnes ont parlé de leurs expériences, en échangeant entre eux. Un soir, quelqu’un a même dit : "Ce film-là, c’est mon histoire". Après tous ces débats, nous n’avons pas eu de témoignages qui, dans le cas de pressions psychologiques, pouvaient faire état d’une action collective ayant permis d’obtenir gain de cause. Ce qui ne veut pas dire que cela n’existe pas. J’espère que la situation que j’ai vécue ne se retrouve pas dans toutes les entreprises.

Moi, j’ai voulu faire un film sur l’engagement, pour dire : "Arrêtons de nous soumettre et essayons de relever la tête". Mais si on la relève seul, cela ne marche pas. Dans mon entreprise, nous avons été dégommés un à un. Si nous avions tous décidé collectivement de faire grève, les choses en seraient certainement allées différemment.

PDF - 298.4 ko


  • Article mis en ligne le 28 février 2006 par Laurent


  • Popularité de l'article :
    1%